Fantômette contre Fantomette

Je veux faire des enfants avec elle. C’est dire si je l’aime, la langue française. Combien de fiévreuses batailles, de fébriles embrassades, de nuits de débauche et de chastes effeuillages, depuis nos premiers tête-à-tête ? Ô son entêtée grammaire, son orthographe taquine, son indocile conjugaison ! En elle se nichent mes rares poussées de chauvinisme.

Voilà que mille chevaliers se lèvent pour la défendre. Je ne vais pas ici entrer dans un débat socio-linguistique. (En bref, je conçois qu’une langue vivante évolue, mais je suis perplexe quant aux motivations de ce remaniement.) Simplement, je l’aime bien, moi, cet accent circonflexe. Je l’ai toujours trouvé… eh bien, élégant ? Un o, c’est un ovale ; un ô, c’est un dandy. Je le vois presque l’ôter pour me saluer, ce fameux chapeau.

Je ne pousse pas les hauts cris. Je me souviens. J’ai huit ans, et j’aime Fantômette avec son bonnet à pompon et son chapeau sur le o. Il ne s’agit pas alors d’un quelconque snobisme. Rien, aucun professeur, grand manitou, aucun prétentieux lycée parisien, aucun classique couronné, non, nul n’a encore tenté de m’infuser une certaine idée de la culture, un élitisme douteux. Que monsieur circonflexe ait une raison historique ou un sens – car en réalité, il a plusieurs fonctions, il n’est pas inutile – m’échappe et d’ailleurs m’importe peu. Je le trouve tout bêtement éminemment esthétique. Et tout le reste aussi.

Très vite, le français devient un jeu de piste, de cache-cache, un délicieux défi. C’est entendu, il est vicieux. Mais là est peut-être la moitié du plaisir que, petite peste, j’en tire. Vient l’adolescence. Je le dompterai, le bougre, j’en comprendrai la moindre ficelle. Comment donc, encore un piège ? Je m’en trémousse d’aise. Je lis de vénérables auteurs décédés depuis des lustres et j’imite maladroitement leurs styles. Je me gorge de tournures désuètes, me gave de vocabulaire trépassé, m’endors ivre et me réveille sans gueule de bois.

Et l’on priverait de telles extases les enfants de demain ? Je pense qu’il est utopique de prétendre que l’ancienne orthographe, la nôtre – qu’à l’heure actuelle je ne peux toujours pas affirmer maîtriser, la satanée traîtresse ! – ne disparaîtra pas sous prétexte qu’elle reste utilisable. Il me semble évident qu’elle disparaîtra au contraire à une vitesse record. Et je suis triste. Mais j’ai l’espoir qu’une gamine, la vôtre, la mienne, s’endormira un jour ivre de nous avoir trop lus.

Février 2016
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